Serge Renaudie, le 6 décembre 2011
Jean Renaudie était fasciné par la relation permanente qui existe à Saint Martin d’Hères entre la vallée et les montagnes. Il aurait souhaité construire à flanc de colline mais c’est en pleine plaine que le premier quartier de ce qui aurait dû être le futur centre-ville de Saint Martin fut édifié.
Comme les parkings ne pouvaient pas être enterrés à cause de la présence de la nappe phréatique, il décida de considérer leur masse comme des plateaux naturels contre lesquels et sur lesquels implanter les bâtiments de logements. Cela présentait le double intérêt de les masquer et d’offrir des surfaces de circulations publiques et de placettes hautes. Il créait ainsi la topographie qu’il souhaitait pour réaliser des collines, des pentes, des plateaux et des chemins qui apparentent cet ensemble à un site naturel où s’accroche une ville. Il concevait donc ce morceau de ville comme un ensemble traversable de toute part par les promeneurs, un quartier où les piétons, et tout particulièrement les enfants, étaient rois.
Jean Renaudie considérait que comme aucun habitant n’était identique à son voisin, il n’y avait aucune raison de construire des logements tous identiques et standardisés. A ce principe qui reconnaît l’importance de l’individu, il ajoutait le droit de se réunir et de parcourir librement le territoire de la ville. Confiant en la capacité de création et d’appropriation des habitants, il considérait que son architecture ne pouvait être terminée qu’avec l’intervention de ceux-ci notamment par les plantations qui, en envahissant les façades, créaient l’image finale et changeante de son architecture. Le béton était considéré comme le support de cette végétation. Il appartenait donc aux habitants de terminer, individuellement et collectivement, leur habitat et leur quartier grâce à cette alliance avec le végétal.
Les 30 cm de terre végétale qui recouvrent les terrasses permettent à toutes sortes de plantations, arbres, arbustes, fleurs, herbes, de jouer ce rôle esthétique, social et urbain. Ces bâtiments peuvent être considérés comme les premiers bâtiments écologiques car cette terre sert de protection thermique naturelle et peu coûteuse, de protection à l’étanchéité qui reste ainsi à l’abri des chocs thermiques, de rétention des eaux pluviales, de fixation des particules de métaux lourds, etc…. La végétation qui s’y développe accueille les oiseaux et les insectes. Cet habitat en terrasse possède, avec la végétation qui peut envahir le bâtiment, un micro-climat et offre aux habitant la possibilité de retrouver le cycle des saisons, d’entendre les oiseaux et de regarder les étoiles. Supprimer la terre végétale des terrasses est une bêtise énorme et un contresens à la fois écologique, social et culturel.
Le choix de créer un habitat en terrasse est induit par la volonté de différencier chaque logement et de lui donner une ou plusieurs terrasses permettant ainsi d’agrandir le logement et de l’ouvrir sur l’extérieur, sur le quartier, sur la ville et plus loin sur les montagnes. Grâce aux multiples utilisations des terrasses, le bâtiment est doté d’une façade et d’une toiture « actives », « vécues », reflétant la vie sociale des habitants.
Jean Renaudie croyait en la diversité et en la richesse de chaque individu et en ses capacités de trouver les moyens de s’associer à d’autres pour transformer leurs espaces sur les bâtiments par les terrasses et entre les bâtiments par les espaces publics, par les circulations piétonnes, les places, les rues et les ruelles, les jardins. En tant qu’architecte, il considérait de sa responsabilité de créer des cadres qui favorisent la vie collective et qui garantisse l’intimité de la vie privée. C’est ainsi que les constructions combinent les logements autour de rues, de places, de placettes surélevées en enrichissant les modes d’accès à son logement.
Bien que les recherches de performances thermiques n’aient pas été aussi importantes qu’aujourd’hui, ce quartier peut être considéré comme l’un des premiers éco-quartiers grâce à l’alliance du végétal et du construit, grâce également à la recherche de mixité sociale et fonctionnelle. C’est également un quartier riche d’une grande diversité de modes d’habitat, intermédiaires entre la maison individuelle et le bâtiment collectif. Diversifiant les recherches sur la manière d’habiter, les regroupements de maisons individuelles présentent des formes combinées de cylindres et de cubes avec des dimensions très originales, incorporant patios, serres avec des jardins remontant en escaliers sur le toit.
Jean Renaudie dessinait l’espace urbain avec des courbes qui s’entrelaçaient pour mesurer les interrelations des espaces libres et les espaces bâtis. Le projet de construction devant répondre à des moyens économiques réduits, les courbes fluides se transformaient en pointes, résultat de l’utilisation de la diagonale du carré pour conserver cette dynamique spatiale. Pour la première fois dans ses réalisations, il est resté une courbe rue du 8 mai 1945.
Jean Renaudie travailla beaucoup à la première tranche de ce quartier, cherchant toujours à améliorer les moindres détails malgré des budgets très serrés imposés par le financement du logement social. Il décéda malheureusement avant le début du chantier.
La complexité dynamique mise en œuvre dans la conception de ce quartier avait pour vocation de produire de nouvelles manières de concevoir les secteurs ultérieurs de ce qui devait être un nouveau centre à la ville de Saint Martin d’Hères. L’avenue du 8 mai 1945 avait une vocation d’épine dorsale d’un ensemble plus vaste et devait accueillir commerces et services. L’arrêt du projet de nouveau centre-ville, ainsi que le manque de moyens, ont porté certainement préjudice à ce premier quartier qui a manqué de l’attention nécessaire pour le développement harmonieux des nourrissons, puis des jeunes enfants.
Notre civilisation semble avoir perdu la capacité de persévérer. On abandonne vite ce qu’on a juste initié pour aller construire ailleurs ce qu’on abandonnera aussi vite. La ville devient une juxtaposition de produits prêts à jeter dans une société de consommation accélérée. Jean Renaudie cherchait à offrir la possibilité d’être autrement dans son quartier, dans sa ville et avec ses voisins en redonnant le temps d’y vivre.